Aimer nos prochains
Doyenne associée et professeur de droit, BYU Law School
18 septembre 2018
Doyenne associée et professeur de droit, BYU Law School
18 septembre 2018
Aimer son prochain exige qu’on se rapproche de son prochain et qu’on donne de soi-même. En espagnol, le terme pour « amour du prochain » est amor al prójimo, ou « amour de celui qui est à proximité ».
Nous sommes toujours prêts à améliorer nos traductions. Si vous avez des suggestions, écrivez-nous à speeches.fra@byu.edu.
Dans les années mille-neuf-cent-soixante-dix, mon père est arrivé sur le campus de BYU pour commencer ses études. Il ne correspondait pas au profil habituel des étudiants de BYU de cette époque. Mon père était venu à BYU du Venezuela, un pays dont beaucoup d’étudiants de BYU n’avaient jamais entendu parler à l’époque. Il ne parlait pratiquement pas anglais et il était catholique.
Conformément à la manière dont mon père aime raconter l’histoire, il est monté à bord d’un avion pour les États-Unis, impatient de s’aventurer hors de son éducation catholique conservatrice et s’attendant à l’expérience universitaire américaine laïque qu’il avait vue dans les films hollywoodiens. Imaginez son choc quand il découvrit que ses parents, mon abuela et mon abuelo, avaient décidé de l’envoyer à BYU afin qu’un groupe de personnes dont il ne savait rien d’autre que le nom de « mormons » puisse garder un œil sur lui pendant qu’il était loin de chez lui.
Mon père s’est retrouvé dans un endroit étrange entouré de gens très différents de lui. Les odeurs familières et les décors typiques de son pays natal des Caraïbes, tels que les manguiers, les aras, le café et l’océan, étaient remplacés par ceux de BYU. Il était marqué par les parterres de fleurs sur le campus, qui changeaient au fil des saisons ; les rues vides et les devantures de magasins fermées tous les dimanches ; et la neige. Mais les étudiants et les professeurs de BYU l’ont accueilli à bras ouverts. Des professeurs ont invité mon père à partager son point de vue et ses expériences en classe ; des colocataires et des amis l’ont emmené faire du ski et faire des voyages en voiture pour voir les États-Unis. Un professeur a invité mon père à vivre avec sa famille pendant plusieurs mois pendant que mon père s’adaptait à la vie ici.
Mon père aurait pu choisir de changer d’institution, mais chaque automne il quittait le Venezuela pour revenir à BYU. Il a appris l’anglais ici, puis il a obtenu une licence. Cela fait presque quarante ans que mon père était étudiant à BYU, mais il se souvient très bien de son séjour ici. En fait, alors que je grandissais au Venezuela, mon père pouvait repérer les missionnaires de l’Église à un kilomètre. Bien qu’il n’était pas saint des derniers jours, il les cherchait et leur parlait, leur demandant souvent s’ils étaient étudiants à BYU.
Je suis reconnaissante à la communauté de BYU d’avoir été si accueillante envers quelqu’un aux expériences de vie si différentes de celles de la majorité des étudiants qui la composent ; d’avoir été disposée à écouter et à apprendre de quelqu’un dont la culture, la langue et la religion étaient si différentes. Je suis également reconnaissante à toutes ces personnes qui ont consenti à faire un peu de place dans leurs vies privées à quelqu’un qui devait leur paraître comme étant un étranger.
J’ai moi aussi bénéficié des efforts que d’autres ont faits pour tendre la main à des personnes qui ne leur ressemblaient pas. J’ai passé ma petite enfance dans et dans les alentours de la ville de Maracaibo au Venezuela. Ma mère, une citoyenne américaine que mon père avait rencontrée ici à BYU, était membre de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours et m’emmenait à l’église avec elle le dimanche. Pendant la semaine, pourtant, j’allais à une école catholique pour filles.
Au début de ma première année au Colegio Altamira, l’une des religieuses de mon école – j’aurais aimé me souvenir de son nom – m’a tapé sur l’épaule et m’a demandé si elle pouvait me parler. Elle m’a conduite dans un couloir à l’extérieur de ma classe, où nous nous sommes assises sur un banc.
J’étais sûre que j’avais de gros problèmes. Mais ce n’était pas le cas. La sœur m’a dit qu’elle voulait simplement en savoir plus sur la façon dont je priais. Elle savait que je n’étais pas catholique et elle avait remarqué que je ne récitais pas les prières que le reste de la classe récitait tous les matins. Je lui ai raconté comment ma mère m’avait appris à prier. Cette religieuse et moi avons discuté des différences et des similarités dans nos manières de prier. Je me suis maladroitement excusée de ne pas connaître les prières que les autres filles récitaient, et je me souviens très bien du fait que cette sœur m’avait dit alors qu’elle pensait que ma façon de prier était belle.
Cette expérience est restée gravée dans ma mémoire. Une femme qui avait consacré toute sa vie à servir Dieu par l’Église catholique, et qui y exerçait une certaine autorité, s’était assise avec une petite fille d’une autre foi pour avoir une conversation authentique sur la prière, non pas pour la convertir ou la faire changer, mais pour se lier à elle en tant que sœurs et filles du même Dieu.
Je partage ces histoires aujourd’hui comme exemples de communautés et de personnes qui s’efforcent de suivre l’appel de Jésus d’aimer notre prochain comme nous-mêmes1.
Malheureusement, je pense que notre compréhension du terme prochain (neighbor, en anglais, signifie aussi voisin) peut être altérée par une certaine réalité urbaine et de banlieues dans laquelle les quartiers sont séparés de manière homogène et selon les critères sociaux d’aujourd’hui. Je crains que lorsque nous entendons le mot prochain (neighbor), nous imaginions des gens qui vivent près de chez nous, probablement dans des maisons ou des appartements qui ressemblent beaucoup aux nôtres et avec qui nous discutons au parc du quartier ou dans l’escalier qui relie nos appartements. Nous avons à l’esprit des gens qui mènent une vie similaire à la nôtre, qui parlent la même langue que nous et qui ont des croyances, des buts et des défis similaires aux nôtres. Nous les aimons de manière abstraite sans vraiment les connaître parce que nous supposons que nous les comprenons ; ils sont, après tout, beaucoup comme nous. Mais ce n’est certainement pas ce que Jésus voulait dire quand il nous a enseigné : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même2. »
Quand un docteur de la loi a demandé au Sauveur de définir le terme prochain, Jésus a répondu en racontant la parabole du bon Samaritain3. Comme vous vous en souviendrez, un homme voyageait de Jérusalem à Jéricho et s’est fait brutalement dépouiller puis laissé pour mort. Un prêtre et un lévite sont passés chacun à côté de lui sans lui venir en aide. Un Samaritain, cependant, s’est arrêté pour soigner les blessures de l’homme, l’a emmené à un endroit sûr pour passer la nuit et a laissé de l’argent à l’aubergiste pour les soins de l’homme blessé. Jésus a exhorté : « Va, et toi, fais de même4. »
La littérature qui commente et analyse cette parabole est riche de strates de contexte culturel et de points doctrinaux. Mais aujourd’hui, je veux me concentrer sur trois éléments très fondamentaux de l’histoire qui m’aident à mieux aimer mon prochain.
Un élément de la parabole du bon Samaritain qui a eu une importance particulière pour moi est la façon dont le Samaritain a servi l’homme blessé : il l’a sauvé physiquement. Nous lisons dans Luc qu’il « banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin ; puis il le mit sur sa propre monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui5 ». Le Samaritain a ensuite passé la nuit à l’auberge avant de laisser de l’argent pour les soins de l’homme blessé et de promettre de rembourser toutes les dépenses supplémentaires requises. Le Samaritain a fait de la place dans sa vie, physiquement et mentalement, pour l’homme blessé et s’est approché de lui. Ce n’était pas de la compassion abstraite. C’était concret. Il ne s’agissait pas d’un amour à bout de bras. C’était une étreinte.
Le Sauveur nous demande d’aller et de faire de même.
Aimer son prochain exige qu’on se rapproche de son prochain et qu’on donne de soi-même. En espagnol, le terme pour « amour du prochain » est amor al prójimo, ou « amour de celui qui est à proximité ». Le terme prójimo, tout comme prochain en français, connote une proximité physique et un contact personnel que le mot voisin (neighbor) ne parvient tout simplement pas à retranscrire pour moi. Nous suivons l’exemple du bon Samaritain non pas en aimant de loin de manière abstraite, mais en édifiant une vraie relation et en passant du temps les uns avec les autres, en donnant véritablement de nous-mêmes. Cela n’est pas toujours facile : s’approcher de quelqu’un implique souvent des sacrifices et des efforts. Cela peut être gênant, peut prendre du temps et peut épuiser émotionnellement. Le Samaritain avait certainement d’autres projets pour sa journée, mais il s’est arrêté pour aimer quelqu’un qui avait besoin de lui.
Je n’ai jamais regretté de m’être rapprochée de quelqu’un pour le servir plus sincèrement. Je regrette toutefois les occasions où je ne l’ai pas fait. Il y a plusieurs années, je pratiquais le droit dans un cabinet à Salt Lake City. Chaque matin, je conduisais à la station de tramway près de chez moi, je garais ma voiture et je prenais le train pour me rendre au centre-ville de Salt Lake. Un matin, j’étais très en retard. J’ai garé ma voiture juste au moment où un train entrait dans la gare, et je m’y suis précipitée. Normalement, j’avais plus de temps pour examiner les wagons et sélectionner celui qui semblait avoir le plus grand nombre de places libres. Cette fois, cependant, je suis rapidement montée dans le wagon le plus proche. À ma grande surprise et à mon grand plaisir, j’ai trouvé le wagon complètement vide. Mais dès que je me suis assise, j’ai compris pourquoi.
Un homme âgé portant des vêtements usés et très sales était assis, affalé, sur le sol à l’extrémité opposée du wagon. Ses ongles étaient longs et irréguliers, ses cheveux étaient sales et il était clair, d’après l’odeur qui planait dans le wagon, qu’il ne s’était pas lavé depuis un certain temps. J’ai éprouvé de la peine pour lui. Une partie de moi voulait l’aider, mais je ne savais pas comment. Je craignais de le mettre ou de me mettre dans l’embarras en essayant de l’aider. Je craignais d’être en retard au travail et de salir mes vêtements.
J’ai hésité trop longtemps. Quelques stations plus loin, un homme, habillé comme s’il avait lui aussi un emploi au centre-ville, est entré dans le wagon près de l’endroit où le vieil homme était assis. Au lieu de faire demi-tour et de chercher à se rendre dans un autre wagon, comme beaucoup d’autres l’avaient fait, il s’est penché, a tiré l’homme vers lui, a passé ses bras autour de lui et l’a doucement aidé à descendre du train.
Je ne sais pas ce qui s’est passé après cela. Mais le sauveteur n’est pas remonté dans le train. Il ne s’est probablement pas rendu au travail ce matin-là. Il a probablement sali ses vêtements. Il s’est littéralement approché de quelqu’un et a donné de lui-même. J’aurais aimé avoir le courage de faire pareil. Mais je suis également reconnaissante pour cette leçon. Je m’efforce de mieux reconnaître et saisir les occasions d’aimer mon prochain, el prójimo.
Durant l’été 2016, j’ai voyagé pour la première fois à Dilley, au Texas, (États-Unis). Vous n’avez probablement jamais entendu parler de Dilley. C’est une petite ville de moins de 4 000 habitants à environ cent-quarante-cinq kilomètres de la frontière avec le Mexique. Dilley abrite l’un des plus grands centres de détention pour immigrants du pays. Réservé exclusivement aux femmes et aux enfants, le South Texas Family Residential Center (Centre résidentiel familiale du sud du Texas), comme on l’appelle, peut héberger plus de 2 000 femmes et enfants à l’intérieur de ses hautes clôtures en fil de fer barbelé. La plupart des femmes et des enfants au centre se sont rendus aux États-Unis pour fuir la violence en Amérique centrale en espérant demander l’asile. Les gangs multiethniques terrorisent les communautés au Honduras, au Salvador et au Guatemala depuis plusieurs années. Dans les mois qui ont précédé mon voyage à Dilley, j’avais lu dans les journaux des histoires de violence sexuelle, de meurtre, d’enlèvement, d’extorsion et de torture.
Cela faisait plus d’un an que je pensais faire quelque chose pour aider ces femmes et ces enfants détenus, mais je ne savais pas si j’étais qualifiée pour aider. J’hésitais à voyager si loin de chez moi et de ma famille et je me sentais nerveuse face au fardeau émotionnel d’écouter des femmes raconter des histoires de violence. À bien des égards, j’étais paralysée comme je l’étais à bord du train pour Salt Lake. Je suis reconnaissante à une collègue et amie de la faculté de droit, la professeure Kif Augustine-Adams, qui m’a encouragée à saisir cette occasion de donner de moi-même d’une manière personnelle plutôt qu’abstraite. Elle a organisé pour nous un voyage d’une semaine à Dilley pour aider les femmes et les enfants là-bas à effectuer les premières démarches de leurs demandes d’asile aux États-Unis.
Cette semaine-là a changé ma vie. À Dilley, j’ai rencontré des femmes qui avaient enduré des horreurs indicibles dans leurs pays d’origine et qui avaient quitté tout ce qu’elles connaissaient pour trouver la sécurité pour leurs familles. Beaucoup d’entre elles avaient marché la majeure partie du chemin depuis l’Amérique centrale jusqu’aux États-Unis, portant souvent des nourrissons. Pendant que nous étions au centre de détention, ma collègue et moi avons rencontré individuellement des femmes dans les salles de visite. Nous avons écouté leurs histoires et les avons aidés à se préparer à raconter ces histoires à un agent d’asile.
Je me souviens d’avoir parlé à une femme dont le mari avait été tué par un gang. Elle sanglotait en racontant son histoire pendant que son fils dormait dans ses bras. À ce moment-là, j’aimais cette femme – ma sœur – personnellement. Sa proximité avec moi m’a aidé à mieux comprendre son humanité et la mienne. Et, soudain, ce n’était pas seulement « acceptable » que je sois à plus de mille kilomètres de ma maison confortable à Provo, passant une longue et chaude journée de juillet dans un centre de détention pour immigrants ; c’était exactement là où je voulais être.
Plus tard, ma collègue et moi avons commencé à emmener des étudiants faire du bénévolat à Dilley. Luisa Patoni-Rees, récemment diplômée de la faculté de droit de BYU qui a fait du bénévolat à Dilley, a décrit son expérience d’aimer de manière plus concrète et personnelle comme suit :
J’ai appris qu’aimer exige des sacrifices, des inconvénients et de la douleur physique et émotionnelle. […] J’ai appris que je n’aimais pas mes prochains de Dilley jusqu’à ce que je sois réellement là-bas, peu importe à quel point je pensais à eux et je me souciais d’eux de loin.
Un deuxième élément de l’histoire du bon Samaritain qui est significatif pour moi est l’identité du héros de l’histoire, le Samaritain. Bien que les Samaritains et le peuple juif aient, en grande partie, une ascendance commune, ils différaient dans leurs pratiques religieuses. Les deux groupes s’envisagaient mutuellement avec suspicion et antagonisme. L’animosité était telle que les Juifs prenaient des routes alternatives pour faire le tour de la Samarie lors de voyages qui auraient été beaucoup plus directs en traversant la Samarie.
Bien que Jésus n’ait pas identifié l’homme blessé dans la parabole, nous savons que Jésus racontait cette histoire en réponse à la question d’un pharisien, un docteur de la loi juive. Ce docteur de la loi aurait probablement imaginé un homme juif comme le personnage blessé, d’autant plus que l’homme blessé voyageait sur la route de Jérusalem à Jéricho. Le contexte de l’histoire suggère que le Samaritain s’est arrêté pour aider quelqu’un de très différent de lui. En fait, le Samaritain a sauvé quelqu’un qui n’aurait peut-être pas fait la même chose si les rôles avaient été inversés.
Le Sauveur nous demande d’aller et de faire de même.
Nos prochains ne sont pas les gens qui nous ressemblent le plus ; au contraire, nos prochains sont ceux qui sont différents de nous. Ce sont les gens que nos propres cercles sociaux ont rejetés. Ce sont nos frères et sœurs qui ont une religion différente de la nôtre, qui viennent d’horizons différents, qui ont l’air différent de nous, qui font des choix différents des nôtres, qui ont des rêves et des objectifs différents des nôtres, qui ne sont pas d’accord avec nous ou qui nous ont méprisé. Ceci, bien sûr, ne veut pas dire que les gens qui nous ressemblent le plus ne sont pas nos prochains. Mais notre amour envers les autres ne peut pas être conditionné par le fait qu’ils nous ressemblent. Nous devons aimer les autres en sachant qu’ils sont des individus séparés et distincts de nous. Les différences qui nous séparent dans cette vie font de nous les prochains les uns des autres et, tout comme le Samaritain l’a fait, nous devons tendre la main pour aimer et servir ceux qui sont différents.
Cela peut parfois être extrêmement difficile. Une grande partie de notre vie est consacrée à nous entourer de gens qui nous ressemblent. Nous tissons des liens d’amitié avec des personnes qui partagent des intérêts communs. Nous allons à l’église chaque semaine en partie pour nous joindre à une communauté de personnes qui ont des croyances similaires aux nôtres. Nous réglons même le flux d’information sur les réseaux sociaux pour ne voir que ceux qui pensent comme nous. Nous faisons exprès de ne plus suivre ou même de bloquer ceux dont les opinions nous dérangent ou nous offensent. C’est une tendance naturelle de l’être humain. Nous souhaitons éprouver ce sentiment d’appartenance, ce sentiment d’être respectés et compris. Nous désirons nous sentir aimés pour ce que nous sommes.
Mais qu’éprouverions-nous si nous étions étrangers, non désirés et non invités ? Lors de mon dernier voyage à Dilley, j’ai rencontré une femme qui avait compris d’après ses interactions avec les agents de l’immigration à la frontière et d’après ce qu’elle avait vu aux nouvelles qu’elle était une étrangère. Quand je l’ai rencontrée pour la préparer à son entretien avec un agent d’accueil chargé de l’asile, elle m’a dit qu’elle savait qu’on ne voulait pas qu’elle vienne s’établir aux États-Unis. Elle a avoué : « Moi non plus, je ne veux pas être ici. » Elle m’a parlé des amis et de la famille qu’elle avait laissés derrière elle, y compris sa mère, qui était trop âgée pour voyager, et de son travail d’enseignante. Après avoir été enlevée et violée par un gang au Honduras, elle avait fui aux États-Unis pour emménager avec un membre de sa famille élargie. Elle ne parlait pas anglais et ne connaissait que très peu les États-Unis, mais elle n’avait nulle part ailleurs où aller. J’ai été touchée par la façon dont les femmes du centre de détention se sont physiquement tendu la main pour se réconforter et s’entraider, même lorsque la seule chose qu’elles avaient en commun était le fait d’être étrangères.
Soyez assurés que vous n’avez pas besoin de vous rendre à la frontière pour interagir avec des personnes différentes de vous. Il y a d’autres types de frontières qui nous divisent dans nos quartiers, dans nos villes, dans nos paroisses et ici sur notre campus. Il est de notre responsabilité de faire ce que les étudiants et les membres du corps professoral de BYU ont fait pour mon père et ce qu’une religieuse de mon école a fait pour moi. Nous devons trouver nos frères et sœurs qui se sentent marginalisés et qui ne se sentent pas à leurs places. Ils ne sont pas loin. Ils s’assoient à côté de nous en classe, font la queue avec nous au supermarché et se mettent à table avec nous pour fêter Thanksgiving.
Parfois, nous ne voyons pas ceux de nos frères et sœurs qui ont le plus besoin de notre soutien parce que nous ne pouvons pas voir au-delà de notre propre vécu. Nous commettons peut-être l’erreur de supposer que tout le monde autour de nous a tiré les mêmes conclusions et a développé les mêmes perspectives que nous. Nous devons être prêts à accepter le fait que les expériences d’autrui ont été différentes des nôtres et que ces expériences peuvent amener à des conclusions, des opinions et des modes de vie différents. Sinon, nous risquons de marginaliser et d’isoler davantage le prochain que le Sauveur nous a demandé d’aimer. Nous ne nous sentons jamais aussi seuls que lorsqu’il nous semble que personne ne nous connaît ou ne nous comprend vraiment, et lorsque nous craignons que si l’on nous voyait tels que nous sommes, l’on ne nous accepterait pas.
J’ai été touchée et inspirée par d’innombrables exemples d’étudiants de BYU qui ont traversé, ici sur le campus, les subtiles frontières qui nous séparent. Ils ont ouvert leurs cercles pour inclure quelqu’un qui avait une histoire différente, un parcours différent ou une autre perspective. Au fil des années, j’ai vu mes élèves garder les enfants d’une camarade de classe, qui était mère célibataire, pendant qu’elle étudiait. J’ai vu mes étudiants se lier d’amitié, aimer et soutenir un camarade de classe homosexuel. J’ai vu mes étudiants porter les livres et ouvrir les portes à un camarade handicapé. J’ai vu mes étudiants réconforter un étudiant immigrant, sans papiers, dont le statut et l’avenir aux États-Unis étaient incertains. Je les ai vu inviter au groupe d’étude un élève plus âgé qui retournait aux études après avoir travaillé plus d’une décennie dans un autre domaine, et je les ai vu s’asseoir gentiment à côté d’un élève dont les commentaires en classe avaient semblé durs et injustifiés.
Un petit effort pour se lier d’amitié avec quelqu’un peut faire la différence entre le désespoir et l’espoir pour cette personne. Et à notre tour, nous trouverons peut-être notre vie enrichie par cette amitié.
Cela m’amène à une troisième leçon tirée de la parabole du bon Samaritain. Je trouve significatif le fait que, dans cette histoire, Jésus ait choisi un étranger méprisé – un Samaritain – comme sauveur bienveillant plutôt que victime. Il se peut que ce soit la compassion d’un Samaritain, la compassion d’un étranger à laquelle on s’attend le moins, qui nous sauve. Nous devons tendre la main à ceux qui sont différents, non seulement parce qu’ils ont besoin de nous, mais aussi parce que nous avons besoin d’eux. Sommes-nous assez humbles pour reconnaître que les Samaritains de notre vie ont quelque chose à nous offrir ? Pouvons-nous faire comme Jésus quand il a choisi de traverser la Samarie sur son chemin vers la Galilée, plutôt que d’éviter un peuple qui n’était pas bien accueilli chez lui ? Reconnaîtrons-nous la femme au puits, une Samaritaine, et accepterons-nous l’eau qu’elle nous offre à boire6 ?
Une expérience récente a renforcé cette leçon pour moi. Il y a quelques semaines, ma famille et moi avons visité Encircle, un centre de ressources pour les jeunes LGBTQ et leurs familles ici à Provo. Le centre de ressources est situé dans une maison construite en mille-huit-cent-quatre-vingt-onze et maintenant merveilleusement restaurée. Encircle propose à la communauté LGBTQ des programmes et des services, y compris des conseils, des activités sociales, des projets de service et plus encore. Je réfléchissais depuis un certain temps (encore une fois d’une manière très abstraite) à la manière d’aider davantage et de soutenir notre communauté LGBTQ locale, mais je n’étais pas encore sûre de ce que je pouvais faire.
Ma famille a garé notre voiture à l’extérieur d’Encircle, et nous sommes entrés dans la porte latérale du bâtiment bleu et blanc. J’étais prête à m’offrir à Encircle. J’aurais peut-être pu les aider en tant que bénévole, ou bien en leur donnant de l’argent pour financer les programmes, ou encore en leur offrant une sorte d’aide juridique pro bono. J’étais fière de moi d’avoir enfin fait un vrai effort pour servir.
Ce que je n’avais pas vraiment pris le temps de considérer, c’était que mes frères et sœurs de la communauté LGBTQ pouvaient avoir quelque chose à m’offrir, ou que je pouvais avoir besoin d’eux. Dès que ma famille a franchi la porte, nous avons été accueillis, littéralement, à bras ouverts. Mes enfants ont trouvé d’autres enfants avec qui jouer, et de nouveaux amis nous ont offert de la nourriture et nous ont laissé entrer dans leur vie. J’ai été marquée par le sentiment d’appartenance et de familiarité que j’y ressentais, ainsi que par la rapidité avec laquelle ce nouveau cercle d’amis s’était ouvert à nous. J’ai quitté Encircle ce jour-là non en tant que sauveteuse, comme je m’imaginais l’être, mais en tant que personne secourue.
J’ai appris cette même leçon lorsque je me suis rendue à Dilley pour la première fois. Quand j’ai pris l’avion pour le Texas durant l’été 2016, j’avais la ferme intention d’aider, et même de sauver les femmes et les enfants qui y étaient détenus. Mais je ne m’attendais pas à en apprendre autant de mes interactions avec ces femmes sur l’esprit humain, sur la résilience et le courage. Je m’attendais à trouver des esprits brisés et des âmes désespérées. Au lieu de cela, j’ai souvent rencontré la grâce et une foi inébranlable qui m’ont inspirée. Le cours de ma vie a changé à cause de mes interactions avec ces femmes, et je leur en suis reconnaissante.
Les étudiants qui ont fait du bénévolat à Dilley ont appris des leçons similaires. Eli Pratt, un de mes anciens élèves, m’a parlé d’une femme qu’il avait rencontrée à Dilley. Cette femme avait subi des violences sexuelles, des violences de gang et des abandons tout au long de sa vie. Ce n’est que lorsque des membres de gangs ont menacé son jeune fils qu’elle a quitté son pays. Eli a dit :
Elle a été brisée de plusieurs façons. Elle avait toutes les raisons d’abandonner. Mais elle allait de l’avant, faisant de son mieux pour elle-même et pour son enfant. […] Elle m’a appris que les gens ont une capacité extraordinaire de surmonter les défis, au-delà de ce que nous pourrions imaginer.
Lauren Simpson, une autre ancienne étudiante, a vécu une expérience similaire. Elle a décrit le moment où elle a compris que les femmes de Dilley pouvaient être des exemples pour elle :
Ces femmes, souvent plus jeunes que moi, élevaient des enfants avec tant de courage et de grâce, même entourées de danger et de violence. Elles avaient à la fois une force et une peine que je ne pouvais pas comprendre. C’était une leçon d’humilité et j’ai réalisé que leurs expériences de vie leur avaient donné une sagesse que je ne possédais pas. Cela m’a donné l’impression […] qu’il y avait des choses qu’elles pouvaient m’apprendre à travers leurs exemples.
Je suppose que je n’aurais pas dû être surprise par le fait que me lier d’amitié avec ceux qui sont différents de moi enrichit ma vie et la façonne pour le mieux. C’est, après tout, mon histoire d’origine. Je suis l’enfant de deux cultures, de deux langues et de deux continents. J’ai toujours trouvé de bons Samaritains des deux côtés de n’importe quelle sorte de frontière que j’ai franchie. Ils sont devenus mes prochains, non pas parce que nos chemins se sont croisés par hasard, mais parce qu’ils ont fait des efforts pour me tendre la main. Ils se sont rapprochés de moi malgré les différences qui nous séparaient, ils ont donné d’eux-mêmes pour m’aider et ils m’ont permis de leur offrir une partie de moi-même.
L’année dernière, mes deux jeunes sœurs et moi nous sommes rendues au Venezuela pour être avec notre père pendant qu’il y subissait une intervention chirurgicale. Heureusement, son opération s’est bien déroulée. Nous nous sommes retrouvées ensemble dans un avion traversant les Caraïbes en direction du Venezuela, tout comme nous l’avions fait d’innombrables fois pendant notre enfance, mais cette fois, nous n’étions pas sûres de ce que nous allions trouver au Venezuela. Je n’y étais pas allée depuis dix ans. Le Venezuela est au beau milieu d’une crise économique de laquelle a résulté le taux d’inflation le plus élevé au monde, des pénuries de nourriture et de médicaments et un exode massif des Vénézuéliens. Ils se sont installés aux États-Unis, en Colombie, au Panama, au Chili, en Espagne et dans de nombreux autres coins du monde.
C’était surréaliste de trouver le pays de mon enfance dans un tel état de délabrement et de dégradation et de penser aux centaines de milliers de Vénézuéliens qui n’ont eu d’autre choix que de tout laisser derrière eux7. J’ai pensé à mes propres amis et aux membres de ma famille qui doivent tout recommencer ailleurs. J’espère qu’ils auront la même chance que mon père a eu quand il est venu à BYU. J’espère qu’ils trouveront de bons Samaritains où qu’ils aillent et qu’ils seront, à leur tour, de bons Samaritains dans leurs nouveaux pays. J’espère qu’ils rencontreront d’autres voyageurs dans cette vie qui comprennent que nous sommes ici pour nous aimer les uns les autres.
Bien que cela semble parfois compliqué dans la pratique, le concept d’aimer notre prochain est très simple. Mon fils a instinctivement compris ce principe et me l’a appris alors qu’il n’avait que cinq ans. Un soir, mon mari et moi avions attaché nos deux enfants aînés dans leurs sièges d’auto pour faire quelques courses. Nous venions d’acheter un minivan. Cet achat représentait la dernière frontière de notre consentement à la parentalité de banlieue. Nous avions espéré qu’un minivan mettrait une certaine distance entre les deux enfants très bruyants à l’arrière de la voiture et nous, deux parents épuisés, lors de nos trajets en voiture. Ceux d’entre vous qui ont des enfants comprendront le désir d’avoir un peu de calme en conduisant.
Les enfants se plaignaient de quelque chose dont personne ne se rappelle aujourd’hui. En désespoir de cause, mon mari s’est tourné vers eux et a supplié : « Pouvons-nous s’il vous plaît avoir un peu de paix et de tranquillité ? Juste un instant ? »
Mon fils de cinq ans, Alex, nous a regardés, sincèrement perplexe face à ce qu’il percevait comme une demande sévère. Les larmes aux yeux, il s’est exclamé : « Mais, papa, nous sommes ici pour t’aimer ! »
Alex avait raison. Nous sommes ici pour t’aimer. Nous sommes ici pour aimer nos frères et sœurs, amis comme étrangers. C’est ce que le bon Samaritain a fait, et le Sauveur nous demande d’aller et de faire de même.
Je crois au message d’amour du Christ et à son pouvoir de transformer les vies. L’amour a transformé la mienne, et je prie sincèrement pour qu’il transforme la vôtre. Au nom de Jésus-Christ. Amen.
© Brigham Young University. Tous droits réservés.
Notes
D. Carolina Núñez, doyenne associée et professeur à la BYU Law School, a prononcé ce discours lors d'une réunion spirituelle le 18 septembre 2018.